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MYTHOLOGIE
RACONTÉE AUX ENFANTS
J Hl LAME FLEUAY
MJtIVELLË ÈÛÏTlÙti
PARIS
Ç. BOftfiANï, il BRAIRE- ÉDITEUR
ME M* SJUflTS-ftMS, 9
1B72
GBORGB R. LflCKTVOOft
MYTHOLOGIE
DES GRECS ET DES ROMAINS.
^r»-
SATURNE et JANUS.
Puisque vous avez lu l'histoire grec-
que, mes enfants, vous vous souvenez
sans doute encore de Cécrops et de Cad •
mus, qui portèrent dans le pays des Pé-
lasges les arts de l'Egypte et de la Phé-
nicie ; mais la culture des champs, colle
de la vigne et de l'olivier, ne furent pas
les seuls dons que ces courageux aventu-
riers firent à la Grèce , car ils y intro-
duisirent en même temps les dieux de leur
patrie.
A la vérité, Isis, Osiris, Typhon, Anu-
bis, les Cabires, ne conservèrent point
dans ces contrées étrangères leurs noms,
et encore moins leurs figures bizarres ;
54 SATURNE ET JANUS.
mais les récits que Ton faisait sur leur
compte devinrent la source d'une mytho-
logie plus variée, et bien autrement in-
téressante que celle que je vous racontais
tout à l'heure. Ce fut de la Grèce que le
culte de ces dieux se répandit prompte-
ment en Italie, où les Romains, et avant
eux les peuples du Latium, leur élevèrent
successivement une infinité de temples et
d'autels.
Cette mythologie grecque et latine,
mes enfants, doit être étudiée a*vec soin,
parce qwe c'est aux divinités qu'elle met
en scène, ou dont elle raconte l'histoire,
que se rapportent presque tous les ta-
bleaux, toutes les statues, dont les palais et
les jardins publics sont ornés. Si vous allez
dans ces lieux de promenade ou dans les
musées, vous y voyez l'image d'un grand
nombre de ces dieux et de ces déesses,
que vous apprendrez facilement à distin-
guer lorsque vous aurez écouté les fa-
bles dont ils sont l'objet, et remarqué
les attributs qui les caractérisent. Mais
comme vous ne savez peut-être pas en-
SATURNE ET. JANUS. 55
core ce que l'on nomme un attribut, je
vais tâcher de vous l'expliquer.
Chaque divinité, pour se faire recon-
naître, était pourvue de quelque signe
particulier. Ainsi nous avons déjà vu
Isis et Osiris porter la clef du Nil, un
fléau ou on bâton qui leur servait de
sceptres. D'autres dieux sont armés de la
foudre, d'une lance, .d'une- épée, d'un
bouclier. Quelques déesses portent des
couronnes de fleurs et des branches de
verdure, ou soutiennent de grandes cor-
nes renversées, que Ton nomme des cor-
nes d'abondance parce qu'il s'en échappe
une infinité de fruits, de fleurs, de pièces
de monnaie, de pierres précieuses; quel-
ques autres ont à leurs pieds les animaux
qui leur sont consacrés, tels que le hibou,
le chien, le lion, l'aigle, et cent autres
encore de différentes espèces. Eh bien !
ces armes, ces couronnes, ces fleurs, ces
animaux, ce sont les attributs des di-
verses divinités auprès desquelles ils sont
placés. Maintenant, lorsque devant vous
on emploiera cette expression, j'espère
56 SATURNE ET JANUS. -
que vous pourrez la comprendre, et que
vous saurez mente bientôt vous en servir
à propos.
Le plus ancien de tous les dieux, di-
saient les Grecs, était le Ciel. Il avait
pour femme Cybèle ou Vesta, qui n'é-
tait autre que la Terre, et qu'à cause de
cela on représentait sous la figure d'uîie
femme vénérable, assise sur un chariot
traîné par des lions, et la tête couronnée
de tours et de créneaux de murailles ; elle
tenait dans sa main une clef pour indi-
quer que la terre renferme des trésors 1 .
Cette déesse, lorsqu'on Vadorait sous
le nom de Vesta, présidait au feu sacré
qui rend la terre féconde, et c'est pour
cette raison qu'à Rome des prêtresses,
nommées Vestales, étaient chargées
d'entretenir dans son temple un feu qui
ne devait jamais s'éteindre.
On raconte, à ce sujet, que la peste
ayant éclaté dans Rome, peu de temps
après l'expulsion de Tarquin le Superbe,
I. PI. V, iîg. 9.
SATURNE ET JANUS. 57
si j'ai bonne mémoire, les Romains con-
sultèrent un oracle, qui déclara que le
fléau ne cesserait que lorsque la statue de
Vesta aurait été apportée dans un tem-
ple qui venait de lui être consacré. Mais
le vaisseau qui portait cette statue, étant
entré dans le Tibre, resta engagé dans le
sable sans qu'aucune force pût l'en arra-
cher, jusqu'à ce qu'une vestale, nommée
Claudia, ayant attaché sa ceinture au
navire, l'amena ainsi jusque dans la ville,
sans paraître employer le moindre ef-
fort. Tout le monde cria au miracle ; et
en effet cela eût été vraiment miracu-
leux, si toutefois une pareille fable pou-
vait être crue des personnes raisonna-
bles.
Le Ciel et Vesta eurent un grand
nombre d'enfants, dont les deux princi-
paux furent Titan et Saturne. Titan,
qui était l'aîné de la famille, devait être
roi du monde entier ; mais Cybèle, qui
lui préférait son autre frère, parce qu'il
était d'un caractère plus docile, fit tant
par ses caresses et ses prières, que Titan
58 SATURNE ET JANUS.
consentit à céder son empire à Saturne,
pourvu que celui-rci, de son cote, s'enga-
geât à ne jamais élever d'enfant mâle, et
promît de dévorer aussitôt tous les petits
garçons que sa femme Rhéa mettrait au
monde.
Je n'ai pas besoin de vous dire que
tout ceci n'est qu'une fable' bizarre;; car
il n'y. a jamais eu de père assez -dénaturé
pour manger ses enfants; mais vous com-
prendrez mieux le sens de ce .conte sin-
gulier, lorsque vous saurez que Saturne
était l'image du Temps, qui dévore en
effet . ses enfants, puisqu'il n'y a r pas
d'homme qui puisse vivreéternellement *.
Cependant Rhéa, qui était une bonne
mère, ne pouvait voir sans douleur son
mari dévorer tous ses petits garçons et
ne lui laisser que ses petites filles. Elle
imagina donc de sauver trois de ses.en-
fants, qu'elle nomma Jupiter, Neptune
et Plutow, et quand Saturne, leur père,
lui demanda ces pauvres innocents pour
1. Pi. v, fig. 8.
SATURNE ET JANUS. 59
son souper, elle lui servit trois grosses
pierres, dont le dieu feignit sans doute
de se contenter. Les trois enfants furent
confiés à des personnes discrètes et cha-,
ritables, qui les élevèrent secrètement
de peur que Saturne ne parvînt à les
découvrir.
A quelque temps de là, Titan, ayant
appris la supercherie dont Hbéa avait
usé envers son mari, déclara aussitôt la
guerre à Saturne , et le chassant de l'O-
lybipe (l'une des plus hautes montagnes
de la Grèce, où les anciens supposaient
que la demeure des dieux devait être
placée), il le força de se retirer en Italie,
où le dieu banni fut accueilli à bras ou-
verts par le bon roi Jàjntjs, qui régnait
alors dans le Latium.
Là, Saturne, avec l'aide de son ami
Janus, s'étant aussi approprié un petit
royaume, rendit les habitants de ce pays
si heureux, que le temps où ces deux
princes régnèrent sur la terre est ordinai-
rement appelé « l'Age d'Or», parce qu'a-
lors tous les hommes étaient doux et ver-
60 SATURNE ET JANUS.
tueux, et que personne ne pensait à faire
le moindre mal à ses semblables.
Lorsque tout à l'heure, mes enfants,
je vous ai nommé le roi Janus, vous vous
serez sans doute souvenus de ce dieu à
double visage, dont le temple à Rome
restait ouvert pendant la guerre et se fer-
mait en temps de paix, ainsi que le ra-
conte l'histoire romaine*. C'était en
effet ce bon prince lui-même qui, après
sa mort, avait reçu les honneurs divins
des peuples de i'Étrurie et du Latium,
où il avait régné. 11 avait donné son nom
au mois de Janvier, le premier de Tan-
née; le mont Janicule, Tune des sept
collines de la ville de Rome, lui était
consacré, et comme il passait pour l'un
des dieux les plus doux et les plus pru-
dents, il était chargé de veiller à la porte
de chaque maison, que Ton nommait en
latin « Janua », pour préserver de mal-
heur ceux qui l'habitaient.
A la vérité, Janus n'était pas seul,
l. Pi. VI, %. 10.
ET JAXTS. 61
parmi les dieux, occupé de ce soin con-
servateur; car il t avait, dans chaque
habitation romaine, de petits dieux nom-
més Labes et Pesâtes, qui avaient, dit-
on , quelques rapports avec lesGibircsde
l'Egypte.
Les premiers étaient les gardiens de la
maison, et on les représentait quelque*
fois sous la forme d'un chien, parce que
ce fidèle animal, par sa vigilance et ses
aboiements, tient les voleurs éloignés.
Les» seconds étaient les dieux du fover
domestique, c'est-à-dire du lieu où la
famille entretenait le feu sacré. Ils étaient
figurés par deux jeunes hommes assis,
armés chacun d'une lance, et aux pieds
desquels était couché un gros chien. On
les plaçait ordinairement dans l'endroit
le plus retiré de la maison, où une lampe
constamment allumée brûlait devant eux.
Chaque famille romaine avait ses Pénates
particuliers , qu'elle transportait avec
elle lorsqu'elle changeait de demeure;
mais les Lares ne quittaient point l'ha-
bitation à laquelle ils étaient attachés. Il
MYTHOLOGIE, NOUV. ÉDIT. 4
62 SATURNE ET JANUS.
yayait en outre des. Lares chargés de la
garde des chemins publics., des carre-
fours, des campagnes, des vaisseaux;
leurs statues se voyaient partout , et les
esclaves que leurs maîtres avaient affran-
chis y suspendaient leurs chaînes en ac-
tion de grâces.
A présent, lorsque vous trouverez dans
quelque livre d'histoire qu'il y estques-
tion des dieux domestiques, vous saurez
que les Lares et les Pénates étaient ceux
auxquels on donnait ce nom.